La mort de l’Euro

Temps de lecture estimé : 5 minutes

Chère lectrice, cher lecteur,

“This is the end

My only friend, the end

Of our elaborate plans, the end

Of everything that stands, the end…”

Vous connaissez cette chanson ? C’est l’envoûtante “The End”, des Doors…

Et ça pourrait bientôt devenir l’hymne de notre Europe à l’agonie.

Moins entrainante que l’Ode à la joie, c’est sûr… mais plus proche du réel.

Car l’UE, telle que nous la connaissons, n’en finit plus de sombrer : covid, Ukraine, inflation…

Et maintenant, crise politique en Italie : « Super » Mario Draghi, ex-patron de la BCE reconverti en premier ministre italien depuis 2021, vient de démissionner.

Pas de chance, c’était lui qui était supposé conduire le plan de relance et de transformation de l’économie italienne… Un plan à 190 milliards d’euros, soit 30% du plan de relance européen à 750 milliards.

Ça tombe mal, car l’Europe n’avait vraiment pas besoin de ça.

Locomotive en panne

Depuis plusieurs mois, je vous avertis face au cocktail vénéneux qui nous ronge : la stagflation.

Car l’inflation « toute seule », c’est déjà raide… mais quand le coût de la vie monte alors qu’il n’y a plus de croissance, c’est la catastrophe.

Or, où que l’on regarde, la machine économique européenne est en panne.

L’indice PMI (Purchasing Manager’s Index), qui mesure le dynamisme des secteurs manufacturiers, est en baisse dans pratiquement tous les pays de l’UE.

L’indice ZEW de « sentiment économique » est au plus faible depuis 10 ans.

L’indice Sentix de « confiance des investisseurs » est en chute libre.

Dans mon dernier mail, je vous ai parlé de la dégringolade de l’euro face au dollar…

Mais gardez bien à l’esprit que l’euro baisse face à pratiquement toutes les monnaies (même le rouble, qui se porte bien, lui…) : au-delà du dollar qui s’apprécie, c’est surtout l’euro qui inquiète tout le monde.

Côté balance commerciale, la France a battu un double record en mai dernier : déficit de 13 milliards d’€ sur un mois, et de 113,9 milliards sur les 12 derniers mois… autant vous dire que nous ne sommes pas des champions de l’exportation, loin s’en faut.

Mais la nouveauté qui fait peur, c’est que l’Allemagne, locomotive de l’Europe, est elle aussi dans une situation économique déplorable.

Oui cette même Allemagne qui avait l’habitude de payer pour les largesses et excès des autres (en échange d’une influence supérieure aux autres auprès des instances de l’UE)

Pour la première fois depuis la réunification de 1994, la balance commerciale allemande est elle aussi déficitaire, d’1 milliard d’€ en mai.

On pourrait se dire que ça vient de la hausse du prix des matières premières, vu à quel point l’Allemagne est tributaire de ses importations en gaz…

Mais ça n’est qu’une partie de la vérité.

Depuis plusieurs mois, le marché extérieur de l’Allemagne diminue.

L’Allemagne exporte moins et importe plus, ça n’est pas « juste » l’un ou l’autre.

En Allemagne aussi, l’indicateur PMI est tombé… et tout indique que le PIB allemand est en train de baisser assez fortement.

Vous m’avez bien lu : l’Allemagne aussi est en récession.

Alors forcément, la presse allemande est à cran.

Les décisions de la BCE, son laxisme vis-à-vis de l’Europe du Sud, ses mécanismes de « solidarité » alors qu’il n’y a plus un pays d’Europe capable de payer pour les autres

Tout ça irrite l’opinion publique, au point qu’on a même entendu le terme « GERXIT » pour la première fois au détour d’articles et de discussions dans les médias.

Oui, les Allemands étaient europhiles et anti-nucléaire il y a encore peu de temps, désormais c’est tout l’inverse. Tout fout le camp.

L’Italie, c’est autre chose que la Grèce…

À l’avant, donc, la locomotive cale.

Et à l’arrière, quelques wagons menacent de se décrocher.

Or parmi ces wagons, il y en a sans qui le train ne serait plus le même…

Je vous parle de la troisième économie de la zone euro, l’Italie.

Quand c’était la Grèce qui était en crise, au début des années 2010, les analystes étaient déjà anxieux quant à l’avenir de l’Union.

On avait fait rentrer « trop de pays », « trop différents les uns des autres », et étendre la monnaie unique à des pays en développement était une hérésie.

Je vous rassure, c’est toujours vrai.

Mais à l’époque, quand c’était la Grèce qui coulait, on parlait d’un pays d’à peine 10 millions d’habitants avec un PIB inférieur à 300 milliards de dollars. On pouvait redresser le tir sans se faire trop mal.

L’Italie, c’est une autre paire de manches : 60 millions d’habitants, un PIB autour de 2000 milliards de dollars.

Un gros morceau.

Un morceau endetté à 152% de son PIB, avec un indice PMI qui dégringole… ce qui ne va pas les aider à rembourser !

Plus grave encore : le PIB italien hors inflation en 2021 est le même que celui de 2000.

Vous m’avez bien lu : l’Italie est au même niveau qu’en 2000… Et 6,6% plus bas qu’à son apogée de 2007. C’est cruel, mais il n’y a aucun doute quant au déclin de la puissance italienne.

Le problème, c’est qu’un pays surendetté, qui n’arrive plus à croître et dont la production manufacturière s’effondre… ça souffre plus de la hausse des taux que les autres.

C’est d’ailleurs une des explications à l’inaction de la BCE pendant tout ce temps : monter les taux était souhaitable pour les économies qui peuvent l’encaisser, typiquement les « frugaux » d’Europe du Nord.

Mais en montant les taux directeurs, la BCE augmente le coût de la dette italienne… Car ces taux augmentés se répercutent sur les marchés où l’Italie se refinance.

Or, le taux d’intérêt sur les obligations d’État italiennes à 10 ans grimpe dangereusement, au-delà de 3,4%… c’est-à-dire même au-delà du taux grec.

Cela signifie que les marchés font plus confiance à la Grèce qu’à l’Italie pour rembourser sa dette… alors que la dette grecque est à 190% de son PIB.

Quand on regarde l’écart des taux entre les obligations italiennes (3,4%) et allemandes (environ 1,1%), on voit que le fossé s’accentue, ce qui entérine la vision que nous avons tous d’une UE à deux vitesses : le Nord productif et rigoureux, le Sud improductif et dispendieux.

La question est : combien de temps pourra-t-on maintenir l’unité d’une zone où les pays les plus endettés payent toujours plus cher pour se refinancer, sans croissance, tandis que les bons élèves ne veulent plus (et ne peuvent plus) payer pour eux ?

Passons vite sur la crise politique italienne, qui s’ajoute à la crise économique : Mario Draghi a échoué à maintenir l’union nationale, démissionne et ouvre la voie à des élections en automne.

Élections où les partis eurosceptiques sont bien placés pour faire un carton.

Plus de ZMO = plus d’euro

Je pourrais continuer longtemps à vous expliquer que les Italiens coulent et que les Allemands en ont marre de payer, mais vous avez compris.

Vous avez aussi compris que le destin italien préfigure le destin français : on a longtemps considéré l’Italie comme le « laboratoire politique » de l’Europe, car les scenarii électoraux qui s’y jouent sont généralement « imités » ailleurs, plus tard.

Cela semble aujourd’hui s’étendre à l’économie, car la France et sa dette à 115% du PIB, sa balance commerciale qui ressemble à une catapulte et son équipe de bras cassés au pouvoir n’est pas si loin du gouffre non plus…

Mais au-delà de tout ça, la zone euro est en péril car elle n’a plus de raison d’être.

Je vous explique :

En économie, on parle de « Zone Monétaire Optimale », ou ZMO, pour qualifier la situation où un groupe de pays a intérêt à créer une monnaie unique.

Cette situation est déterminée par un ensemble de facteurs :

  • Échanges intenses entre les pays du groupe
  • Facteurs de production mobiles d’un pays à l’autre
  • Caractéristiques économiques communes (budget, fiscalité, niveau de développement, objectif monétaires…)

Or, en Europe, certes on échange beaucoup entre nous…

Mais les facteurs de production ne sont pas si mobiles que ça, notamment les travailleurs, du fait de frontières linguistiques – entre autres – et surtout, on constate une très forte disparité entre les pays de la zone euro, qui va en s’accélérant.

On a d’un côté des pays très industrialisés (Pays-Bas, Allemagne, Autriche), de l’autres des pays qui peinent à suivre (Grèce, Italie, Espagne, Portugal), des dettes publiques qui vont de 10% du PIB (Estonie) à près de 200% (Grèce), des fiscalités et des budgets tout sauf harmonisés…

Et de ces différences naissent aussi des objectifs différents.

Comme on l’a vu, les pays d’Europe du Sud auraient préféré que la BCE rachète des obligations pour renflouer leurs dettes, là où l’Europe du Nord voulait assainir la situation au plus vite par une hausse des taux.

Or, quand on est dans la même voiture, on ne peut pas décider d’aller à gauche ET à droite en même temps. L’économie, ce n’est pas de la physique quantique… et tout indique que la zone euro est en train de se fragmenter.

Quand tout va exploser

Il est impossible de savoir quand et comment la zone euro va exploser.

La seule certitude, c’est qu’elle va a minima connaître des mutations profondes dans les années à venir.

Les cultures économiques inconciliables entre Nord et Sud, les attentes différentes des États-membres vis-à-vis des institutions, la récession et l’inflation, la possible faillite d’un ou plusieurs membres, le bras de fer entre la BCE et la Bundesbank, la défiance des peuples et l’absence de leader européen clair…

Tous ces facteurs d’instabilité finiront bien par dynamiter tout ou partie du grand projet européen, cette belle idée qui a été si mal exécutée.

Peut-être que ce sera l’Allemagne, hantée par l’hyperinflation de Weimar, qui claquera la porte en premier à cause d’un euro trop faible, tiré vers le bas par les boulets d’Europe du Sud.

Peut-être que ce sera l’Italie qui fera faillite, forçant la zone à rebattre les cartes et se réinventer – ou les partis eurosceptiques qui précipiteront sa sortie avant ça.

Peut-être que ce sera les désaccords géopolitiques sur l’énergie, le rapport à l’OTAN ou la guerre en Ukraine qui feront tout sauter.

Ou bien ce seront les peuples, agacés par le fonctionnement antidémocratique et autoritaire de l’Union, qui voteront çà et là pour conserver leur souveraineté…

D’ici là, il est urgent de diversifier son patrimoine… car détenir des euros n’a jamais été aussi risqué.

Une stratégie anti-crise à base de valeurs défensives et de matières premières semble indiquée – je vous en dis plus ici.

Amicalement,

Marc Schneider

La Lettre Argo Éditions

Inscrivez-vous et recevez en cadeau le dossier « Acheter ma première action »

Recevez ma lettre gratuite

Politique de confidentialité
4.6 5 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest

1 Commentaire
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Anne-Marie Coustou
Anne-Marie Coustou
1 année il y a

L’analyse schématique selon laquelle il y aurait les bons élèves du nord et les mauvais élèves du sud est une caricature loin de la réalité. Les pays du nord ont eu intérêt à bénéficier de l’agriculture des pays du sud et également du tourisme. Ils fantasment de s’approprier les terres et les maisons des pays du sud où la qualité de vie est bien supérieure à la leur. Après avoir pompé les richesses de l’Europe de l’est pour une poignée de dollars et bénéficié de leur main d’oeuvre à bas prix, l’Allemagne (ex-de l’ouest) veut exercer son impérialisme sur les Etats du Sud. On a vu comment les prédateurs allemands voulaient obliger la Grèce à vendre ses îles… c’est le sort qu’ils réservent à l’Italie, à l’Espagne, à la France, etc. Conclusion : les pays du Sud de l’UE ont été les dindons de la farce et il est grand temps qu’ils reprennent leur destin en main et sortent de cette prison des peuples qu’est l’UE.