ETF : les limites du système

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Chère lectrice, cher lecteur,

Je ne veux froisser personne.

Pourtant, ce message ne va pas plaire à certains d’entre vous…

Car je m’attaque au produit d’investissement le plus populaire de ces dernières années.

Les ETF.

Tout le monde en veut, tout le monde trouve ça génial.

Mais je pense qu’ils sont dangereux. Et qu’à trop y investir, on risque de planter les marchés.

Un ETF, c’est quoi ?

ETF signifie Exchange Traded Funds, qu’on traduit par Fonds négociés en Bourse.

Un ETF est un produit financier qui réplique la performance d’un indice.

Un indice, pour rappel, est une liste d’actions qui font référence pour mesurer la performance économique d’un pays ou d’un secteur. Comme le CAC40 pour l’économie française.

L’entreprise qui émet des titres ETF achète toutes les actions de l’indice correspondant en respectant la pondération de celui-ci (c’est-à-dire qu’à l’intérieur d’un indice, toutes les entreprises ne pèsent pas pareil : certaines représentent 5%, d’autres 2%, d’autres 0,5%…).

Aussi l’ETF est un « panier d’actions ». Et de prime abord, c’est bien pratique.

Imaginez : vous voulez investir, vous ne savez pas sur quoi.

Vous savez que les marchés américains se portent bien, et vous pensez que les États-Unis vont continuer de croître.

Vous aimeriez acheter « un peu de tout » sur le S&P500, l’indice qui rassemble les 500 plus grosses entreprises américaines.

Mais vous n’allez pas acheter 500 actions : c’est extrêmement long et surtout cher, car certaines actions se vendent plus de 1000 $ l’unité.

C’est là qu’interviennent les ETF : une entreprise achète pour ses clients les 500 entreprises du S&P500, et eux achètent les parts de l’ETF directement.

Ainsi, à travers leurs parts dans l’ETF, c’est comme s’ils détenaient des « fragments » de toutes les actions du S&P500.

Et surtout, le cours de l’ETF se comporte comme le S&P500..

C’est là que c’est intéressant : sur les 20 dernières années, 94% des fonds d’investissement actifs ont fait moins bien que le marché

Ce qui a fait dire à Michael Bloomberg que « si les gérants de fonds avaient su que les marchés allaient autant monter de façon linéaire, ils auraient simplement acheté un ETF sur le S&P500 et seraient allés jouer au golf ».

En clair : puisqu’il est si dur de battre le marché, mieux vaut devenir le marché.

Ou pour citer John Bogle, le « père » des ETF et fondateur du groupe Vanguard : « Au lieu de chercher une aiguille dans une botte de foin, achetez la botte de foin ».

C’est ça, la promesse des ETF.

Sur le papier ça a l’air génial. En réalité, c’est ce qui va planter les marchés.

Le drame de la gestion passive

Les ETF demandent très peu d’entretien.

Comme ils répliquent la performance d’un marché, les algorithmes se contentent d’acheter et de vendre toutes les actions de ce marché, en respectant la pondération de l’indice.

C’est de la gestion passive : on ne se pose pas de questions.

Cela permet de casser les coûts : les frais que vous payez pour acheter et détenir des ETF sont dérisoires. La plupart des investisseurs ne les voient même pas.

Mais dans le même temps, ça dénature profondément le rôle des marchés financiers…

Car on a tendance à l’oublier : la Bourse n’est pas un tourniquet magique où l’on jette son argent pour le centrifuger en espérant qu’il fasse des petits.

La Bourse, c’est d’abord et surtout un lieu où les entreprises viennent pour se financer.

Le prix de leurs actions est déterminé par la loi de l’offre et de la demande.

Et la bonne allocation du capital se fait grâce à des investisseurs actifs qui prennent des décisions et orientent leur argent vers les entreprises dont ils pensent qu’elles en feront le meilleur usage.

Or, l’ETF achète toutes les actions d’un indice.

Peu importe la performance des entreprises qui le composent, peu importe leur actualité, peu importe l’état de leur secteur.

Cela veut dire que le prix des actions ne dépend plus de ce que pensent les investisseurs d’une entreprise

Et donc, que la valorisation boursière d’une entreprise n’a plus grand-chose à voir avec son activité dans le monde réel…

Conclusion : les marchés financiers se désynchronisent de l’économie réelle.

Ce qui, vous l’imaginez, entraîne une cascade de dysfonctionnements et fait peser un risque systémique sur l’économie mondiale.

Tout ça parce qu’on a renoncé à vouloir « battre le marché ».

L’Enfer est pavé de bonnes intentions.

Les gros resteront gros parce qu’ils sont gros

Le corollaire de cette gestion passive, c’est que les marchés sont figés.

Je m’explique : puisqu’on achète tout le marché, et que les ETF sont extrêmement populaires, on envoie toujours de l’argent aux mêmes entreprises.

Voilà qui explique en partie pourquoi des entreprises comme Amazon ou Apple ont atteint des valorisations ultra-élevées.

Parce que les ETF les plus populaires sont ceux des plus gros indices, comme le S&P500.

Ce qui veut dire qu’une entreprise du S&P500 qui pèse lourd dans l’indice va se gaver grâce aux investissements faits au travers d’ETF… peu importe si elle est mal gérée ou peu performante commercialement.

Les gros restent gros parce qu’ils sont gros.

Bien sûr, ce capital qui arrose les grosses entreprises, il n’est plus disponible pour en faire émerger de petites qui viendraient concurrencer ces géants bien établis.

Les ETF, puisqu’ils figent le marché, perpétuent un état de fait – et ce faisant, en plus de détraquer le rôle premier de la Bourse, cassent la concurrence, avec les conséquences qu’on connaît : défavorable pour l’innovation, défavorable pour le consommateur… entre autres.

C’est ironique : l’ETF est un pur produit du capitalisme – et pourtant, dans sa logique, il provoque une situation contraire à ses principes de base.

Le problème de la concentration

Résumons jusqu’ici : les ETF faussent le jeu de la Bourse, et donc le prix des actions, qui ne repose plus sur du concret.

Cela crée des absurdités comme :

  • Des entreprises qui ne sont plus performantes, et qui pourtant voient leur cours grimper sans raison
  • Des entreprises déjà gigantesques et ultra-valorisées qui continuent de grossir plus vite que les autres
  • De petites entreprises qui ne se voient pas allouer de capital car les investisseurs sont trop nombreux à investir via les ETF et ne cherchent plus à battre le marché – ce qui fige les marchés et nuit à la concurrence

Tout concorde à faire échouer les marchés dans leur rôle de juste allocation du capital. De quoi engendrer les pires crises – j’y reviendrai.

Mais ce n’est pas tout.

Les ETF sont tellement populaires qu’aujourd’hui, plus de 50% des investisseurs du S&P500 investissent à travers des ETF.

Cela veut dire que les sociétés qui émettent les ETF gèrent beaucoup d’argent.

Vous les connaissez sûrement : BlackRock, Vanguard, State Street…

Ces entreprises sont devenues ultra-puissantes. Si l’on prend les 5 plus gros actionnaires d’Apple, 4 d’entre eux sont des gérants d’ETF.

Mais puisque les ETF investissent partout, ce n’est pas limité à Apple : les grandes entreprises cotées sont toutes détenues (partiellement) par BlackRock, Vanguard, State Street…

Suffisamment pour que ces gérants d’ETF puissent mettre la pression aux dirigeants de ces entreprises.

Or, quand un gérant d’ETF peut mettre la pression à une entreprise leader sur son marché ainsi qu’à ses 3, 4, 5 plus gros concurrents eux aussi côtés en Bourse…

Il peut gérer, organiser et trafiquer la concurrence.

Peut-on encore parler de concurrence, dans ce cas ?

Mais attendez, ce n’est pas tout.

Les nouveaux maîtres du monde

BlackRock est l’actionnaire principal de 20% des entreprises américaines cotées en Bourse.

Il est aussi, en France, un gros actionnaire (entre 5 et 10%) de Danone, Vinci, Lagardère, Eiffage, Axa, Société Générale, Legrand, Total, Sanofi, Veolia, Peugeot, Renault… pour n’en citer que quelques-unes.

Vous comprenez pourquoi son PDG Larry Fink est reçu à l’Élysée quand il le souhaite, et qu’il se permet d’envoyer des « conseils » de gestion à tous les PDG d’entreprises dont BlackRock est un gros actionnaire : il fait la pluie et le beau temps.

Dans les années 2010, sa branche « conseil » intervient auprès des banques centrales d’Irlande, de Grèce, des Pays-Bas… pour conseiller les États sur leurs stratégies économiques, « sans que cela crée de conflits d’intérêts », assurent-ils

Pour illustrer la toute-puissance de BlackRock, revenons en mai 2020.

Le krach covid fait plonger l’économie mondiale. Les marchés s’écroulent.

La FED organise, pour sauver les marchés, un rachat massif d’actions et d’obligations d’entreprises.

À votre avis, a-t-elle investi directement dans les entreprises… ou a-t-elle investi dans un ETF émis par BlackRock pour « gagner du temps » ?

Oui, c’est bien la deuxième option.

La FED a confié son argent à BlackRock, et ne détient pas directement les actions des entreprises qu’elle a voulu sauver.

Les États-Unis sont donc devenus tributaires d’une entreprise privée qui concentrait déjà les pleins pouvoirs.

Les ETF, non contents de nuire aux marchés financiers, ont dégradé la démocratie.

Mais que risque-t-on vraiment ?

Investir dans des ETF, c’est comme prendre un vol low-cost pour aller bronzer aux Maldives.

On sait que c’est mauvais pour la planète, mais on ne voit pas encore bien les conséquences qui se profilent au loin.

Alors on continue à le faire. Un jour il faudra régler l’addition, mais pour l’instant on en profite.

Comme pour la crise climatique, on ne sait pas exactement quelle sera la nature du désastre.

Sauf que comme pour la crise climatique, il y a des experts qui ont déjà modélisé la nature du désastre… et quand ils se trompent, c’est généralement qu’ils ont sous-estimé la gravité des conséquences.

Ici, quand on parle de « perte d’efficacité du marché » ou de « mauvaise allocation du capital », on a du mal à comprendre que c’est gravissime.

Et pourtant ça l’est.

En définitive, le problème des ETF, c’est que toutes les entreprises sont désormais chaînées les unes aux autres.

En clair : en cas de krach, tout le monde va vouloir vendre, actions comme ETF.

Or, il y a toujours eu des secteurs défensifs, qui résistaient mieux aux crises, dans lesquelles on investissait quand les secteurs cycliques, très liés à la conjoncture, se prenaient les pieds dans le tapis.

Aujourd’hui, s’il y a un krach, toutes les entreprises vont plonger en même temps.

Car elles auront toutes été achetées en même temps.

La chute des uns va aggraver la chute des autres, et inversement.

Par ailleurs, cela veut dire que si une entreprise qui pèse lourd dans un indice, donc dans un ETF, a un problème grave, ce n’est pas seulement son cours qui va plonger, mais tout l’indice…

Et donc, des risques de faillite pour toutes les autres entreprises qui seront les victimes collatérales d’un incident chez une entreprise qui n’a rien à voir avec elles.

Mais surtout, comme tout va plonger, que tout le monde voudra vendre tout le marché à la fois, puisque la majorité des investisseurs passe désormais par des ETF… qui sera en face pour acheter ?

Personne.

Le marché va plonger tout entier, les entreprises enchaînées vont tomber dans le gouffre.

C’est ce que prévoit Michael Burry, le gérant de fonds célèbre pour avoir anticipé la crise des subprimes en 2008.

Faut-il abandonner vos ETF ?

Malheureusement, nous ne vivons pas dans un monde où chacun peut gagner 15% par an sur son capital sans prendre aucun risque.

Les ETF sont en train de détruire les marchés de l’intérieur, de créer des « surcouches » (on achète et on vend les ETF plutôt que les actions), et de dessiner un funeste destin commun pour toutes les entreprises cotées dans les gros indices.

En parallèle, les gérants d’ETF mélangent les genres, s’immiscent autant dans la gestion privée que publique, et les investisseurs qui leur confient leur argent n’ont aucun regard sur l’utilisation que font ces géants du pouvoir décisionnel qu’implique cette manne.

En résumé ; perte d’efficacité, de concurrence, concentration. Comme dans un État communiste.

Tout ça parce qu’on a renoncé à battre le marché… Mais pour qu’un marché fonctionne bien, il ne faut pas que tout le monde soit du même avis.

Pour autant, devez-vous renoncer à détenir des ETF ?

Ce n’est pas ce que je dis. Je ne suis pas un totalitaire…

Certains ETF peuvent même avoir un intérêt réel sans endommager les marchés : ils peuvent répliquer partiellement le marché, le pondérer différemment, vous exposer à des actions qui vous sont normalement inaccessibles

À la base, c’est un outil qui est là pour faciliter l’investissement. Mais comme pour tout, c’est la dose qui fait le poison.

Amicalement,

Marc Schneider

PS : Battre le marché reste possible. En 2020, un groupe d’investisseurs américains a fait +113% sur ses recommandations… Leur grosse prédiction pour 2022 est accessible ici.

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Xavier
Xavier
2 années il y a

Excellent article ! Bravo ! Il contient beaucoup d’arguments objectifs.
Il m’a permis d’expliciter ce que je sentais de manière intuitive. En particulier, les ETF ne peuvent fonctionner correctement uniquement si un nombre raisonnable d’épargnants en achètent.
Cordialement.

Daniël deckrts
Daniël deckrts
2 années il y a

Entierement d accord avec votre article sur les ETF si l on s en prends à des ETF qui suivent une économie globale … toutefois si l
on scène prends à des ETF qui suivent p ex uniquement les marchés pétroliers p ex ou les marches des énergies renouvelables ou les marchés des métaux précieux, on y rejoint en fait un secteur précis qui joue un rôle que l
on espère prépondérant ( donc notre perception d un secteur face à une économie globale ) ce qui a mon avis réduit votre conclusion de fausser le marché libre. Qu en pensez vous ?
t

delion
delion
2 années il y a

Excellentissime analyse !

Philippe du Roy de Blicquy
Philippe du Roy de Blicquy
2 années il y a

je l’ai déjà écris dans un précédent commentaire. Marc Schneider a le don essentiel d’éclairer les zones d’ombres.
Bravo, merci de gérer toutes vos interventions avec cette lucidité.

Roussel
Roussel
2 années il y a

Yan
Globalement ok pour votre analyse mais quels sont les ETF éligibles pour vous?

garcia
garcia
2 années il y a

bonsoir à votre maison d’édition , merci pour la lettre de ce jour en ligne sur les ETF intitulée les limites du système assez intéressante et utile. cet instrument permet aussi de bien maîtriser les risques mais aussi de faire de sacrés gains en bourse. c’est accessible aux particuliers pour pas cher. bien sur il y a tout le temps dans la vie des inconvénients c’est normal par exemple les taxes qui devraient augmenter vis à vis de ces instruments en particulier aux états unis.

cordialement
pierre garcia

Jean-Luc Dubrunfaut
Jean-Luc Dubrunfaut
2 années il y a

Je suis avec beaucoup d’attention vos newsletters.
Les ETF ont l’avantage de faciliter le travail du petit investisseur. Personnellement, je m’adresse à un courtier d’assurances qui me propose différents produits proposés par de puissantes compagnies d’assurances, portant un secteur (Intelligence artificielle, énergies renouvellables, produits pharmaceutiques,…). Je choisis sur base de ses conseils et je ne m’occupe que de suivre l’évolution (rentable pour le moment). Si je désire encaisser tout ou partie de mes investissements, un message ou un coup de fil et le tour est joué. Ma banque travaille selon le même principe.
Où s’adresser si l’on désire diversifier son portefeuille et acquérir des actions spécifiques telles que conseillées ?
Merci.

Alain
Alain
2 années il y a

C’est excellent. Les agumentaires sont construits de façon très pédagogiques.
Merci pour cet article.

GERARD
GERARD
2 années il y a

Bonjour, dans le dossier Profits Asymétriques – n° 3 Novembre 2021 – Fin des banques : cette cryptomonnaie accélère la tendance. Vous conseillez d’investir dans Siren Nasdaq NexGen Economy Fund (Nasdaq : BLCN). Pouvez-vous m’éclairer quant à la plateforme à utiliser pour pouvoir faire cet achat: sur Binance? ou sur Degiro (est-ce un ETF ou une crypto?). Merci pour votre retour

Serge Mercier
Serge Mercier
2 années il y a

Bonjour M. Schneider,
Merci pour vos articles et c’est avec beaucoup d’intérêts que je lie les informations. L’article qui m’interpelle ce matin est celle des EFT’s. Je comprends qu’il est important d’investir 80% de nos économies dans des investissements à long terme dans un portefeuille équilibré et plus sécuritaire et 20% à la bourse mais qui émane d’un portefeuille plus risqué. Avec vos explication sur le sujet de EFT, je comprends mieux les enjeux et je vous avoue que je croyais que c’était l’endroit privilégié. Je dirais même qu’il m’avait été recommandé d’investir dans les EFT avec du 3%, 4%, 5% ou plus. Pour moi, c’était mieux que d’obtenir un petit 0.25%, 0.30% d’intérêts d’une institution financière avec des frais de service de 1.50%. Un aberration! Maintenant, je suis embêté.. Dans votre article je n’ai pas vue ou lu d’alternative à investir ce 80%. Est-ce que vous pourriez m’indiquer l’endroit où il serait plus profitable ou plus intelligent d’investir? J’apprécierais recevoir vos recommandation et plus de guidance à ce sujet. Merci à vous, Serge